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Service Canada interdit tout type de parfum : rétroaction d'une parfumeuse
08 Sep 2025

Service Canada interdit tout type de parfum : rétroaction d'une parfumeuse

Service Canada interdit maintenant aux personnes de porter du parfum, de se laver les cheveux et de mettre du déodorant. Interdiction insolite ou réelle? Patrick Lagacé de La Presse s'est renseigné. Le fait est avéré. 

En tant qu'artisane parfumeuse, je commente à mon tour cette prohibition de l’identité olfactive, cette suspicion à propos des odeurs. 

1. Le parfum est en recrudescence

Malgré certaines critiques sur les parfums (uniformisation des fragrances commerciales, diminution de leur qualité perçue, etc.), ils sont de plus en plus populaires, surtout chez les jeunes générations. Les statistiques de l’industrie sont claires : la Gen Z et les millénariaux redécouvrent l’art de se parfumer comme un geste identitaire, d’appartenance à un groupe ou d’expression de son humeur ou de sa personnalité, au même titre que choisir un style vestimentaire ou la moustache. En quête d’authenticité et d’originalité, ils s'éloignent des fragrances genrées classiques et explorent des senteurs unisexes ou non conventionnelles. Pour eux et pour de plus en plus de personnes, se parfumer est une manière de s’exprimer, de marquer sa présence, de respirer la joie, parfois même de se réconforter.

2. Les réactions allergiques aux molécules odorantes sont généralement cutanées.

Les réactions indésirables aux produits parfumés sont le plus souvent cutanées : rougeurs, démangeaisons ou eczéma. Les véritables réactions respiratoires, quant à elles, touchent une proportion infime de la population, à ce que j’en sais. Dans ces rares situations, les symptômes — yeux irrités, éternuements, congestion nasale ou maux de tête — s’apparentent à ceux d’un simple rhume et demeurent bénins, sans pour autant vouloir minimiser les inconforts que peuvent ressentir les personnes hypersensibles aux environnements.

3. Interdire à tous ce qui incommode quelques-uns est illogique.

Priver l’ensemble de la population de déodorant, de shampoing parfumé, de lotion hydratante ou de parfum pour prévenir ce type de symptômes reviendrait, à mon sens, à interdire à toute personne enrhumée, qui tousse ou qui développera potentiellement une grippe dans quelques jours, de fréquenter les bureaux de passeports ou autres lieux qui seraient tentés de suivre la voie de cette proscription. Ça me paraît complètement irréaliste. La vie en société – et la vie tout court - implique de composer avec la présence de dizaines, de centaines, voire de milliers, de micro-agents irritants ou odorants au quotidien.

4. L’hypersensibilité se protège individuellement.

Si une personne souffre d’une hypersensibilité respiratoire, ne serait-ce pas à elle de prendre ses précautions? Choisir ses environnements, porter un masque, éviter certaines situations, etc.  Une personne allergique aux arachides ne peut pas exiger que tout le monde cesse d’en consommer ou que les enfants rangent leur barre tendre lorsqu’ils ont faim, d’autant plus que personne dans la pièce n’y est peut-être pas sensible. De même, il m’est difficile d’imaginer demander à l’ensemble de la population de se priver de gestes quotidiens d’hygiène ou de beauté.

5. Le parfum, un patrimoine sensoriel et culturel.

Réduire le parfum à une nuisance universelle, c’est occulter toute sa richesse culturelle et historique, et son importance pour d’aucuns. Depuis des millénaires, les odeurs accompagnent les rituels, les célébrations, la séduction, l’expression de soi et la mémoire. L’odeur d’une mère, d’un livre, d’un jardin d’été, du café fraîchement moulu… cet univers olfactif fait partie de ce que nous sommes. Le parfum, qu’il soit discret ou affirmé, est une façon de se raconter, de s’affirmer dans l’espace public, d’être en symbiose avec soi-même, de communiquer sans mots…

6. Une réflexion sociologique : l’omniprésence du « sans ».

À mon avis, cette interdiction s’inscrit dans une tendance plus large de notre époque : vouloir « sans » partout – sans gluten, sans lactose, sans bruit, sans odeur, sans risque. J’ai l’impression que la société moderne pousse à réduire l’expérience humaine à la neutralité, au nom du confort d’une minorité. Or, cette course au « sans » risque de transformer l’espace public en un environnement aseptisé et standardisé, où les gestes normaux de soin et d’expression individuelle deviennent suspectés ou sanctionnés. Je trouve que cette approche ne favorise pas la cohabitation harmonieuse, mais instaure plutôt une forme de rigueur sociale par l’élimination de certaines pratiques culturelles, individuelles et sensorielles. Vivre ensemble, c’est aussi apprendre à composer avec ces petites touches invisibles qui font la richesse de notre existence.

Oui, il est vrai que nous pouvons éviter d’abuser du parfum dans un espace restreint. Oui, nous pouvons être attentif à un ou une collègue qui exprime un malaise. Mais de là à bannir le parfum des lieux publics, à associer un geste quotidien d’hygiène ou de beauté à une forme de dangerosité… je ne suis pas certaine. Il me semble qu’est proche la ligne à franchir vers la dénaturation de notre rapport à nous-mêmes et aux autres.

Le parfum n’est pas qu’une « charge odorante ». C’est un art, une mémoire, une identité, un lien social et culturel, un morceau de bonheur. Le réduire à une nuisance universelle, c’est nier une part de notre humanité. C’est peut-être gros, mais ce n’est pas faux.

 

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